Françoise Hardy, la lucidité et la grâce

Publié le par TOTALLY HARDY

Oui, il est probable qu'au début de l'époque du yé-yé Sylvie, Sheila, Eddy, Johnny, Richard, Cloclo et quelques autres ont déployé plus de présence, d'énergie, de métier, que Françoise.



On la devinait fragile, Françoise Hardy, et pas très à l'aise, même un peu complexée, dans sa haute silhouette androgyne d'où s'échappait une voix d'une sensualité encore adolescente. Elle écrivait les paroles de chansons mélancoliques: Tous les garçons et les filles, Mon amie la rose, La Maison où j'ai grandi, etc. S'y épanchait un coeur incertain. "Ne pleure pas ma grande, avait-on envie de lui souffler à l'oreille, le prince charmant va venir et tu connaîtras la félicité."

A mes yeux et à mes oreilles, Françoise Hardy possédait ce que les autres n'avaient pas ou avaient plus chichement: la grâce, une grâce particulière qui ajoutait à son évidente intelligence et qui ferait d'elle non pas une idole mais une icône de la chanson. Depuis plus de quarante ans, avec des hauts et des bas, elle l'est restée. Il n'y a pas si longtemps, dans une émission d'Ardisson ou de Ruquier, j'admirais son élégante manière de répondre avec humour et autorité à des questions qui auraient voulu la déstabiliser. On a quelque doute sur la persistance de sa timidité. Car avec la publication de son autobiographie (Le Désespoir des singes... et autres bagatelles, bien d'elle, ce titre crânement désinvolte!) elle s'expose... hardyment.

Le livre n'est pas une bluette de son répertoire, une chansonnette nostalgique écrite en grattouillant la guitare. Ce gros livre est le récit sans fard, sans concession, sans illusion de sa vie. Impudique, presque impitoyable. On l'y entend chanter et déchanter. Les succès et les fausses notes. Le show-biz et la solitude. Les coeurs synchro et les voix désaccordées. "Le sentiment amoureux, écrit Françoise Hardy, est un moteur extraordinaire, même s'il faut le payer de tourments perpétuels, sans lesquels je n'aurais d'ailleurs écrit aucun texte de chansons." Et sans lesquels elle n'aurait pas écrit cette courageuse confession à la fois douloureuse et vivifiante, d'une implacable sincérité. Où, de nouveau, est présente, mais cette fois a cappella, cette grâce un peu magique que je ne suis pas seul à lui avoir toujours reconnue.

L'amour, donc. La grande affaire de sa vie. D'abord avec Jean-Marie Périer, son Pygmalion, son éternel ami, qui fit d'elle des photos sublimes. En Courrèges, notamment, le couturier auquel on pourrait penser qu'elle a inspiré son style. Ensuite, Jacques Dutronc, son mari, l'homme qu'elle a toujours aimé. Envers et contre tout: l'absence, l'alcool, les copains, les femmes. Cynisme, muflerie, paresse, dérision. Mais aussi un charme fou, un charisme sans égal, son insolence ravageuse, sa tendresse intermittente. Fallait-il quand même qu'elle l'adore pour avoir supporté si longtemps tant de je-m'en-foutisme et d'infidélité. "Et Françoise dans tout ça?" demanda un jour, l'ancien, Jean-Marie, au nouveau, Jacques. Réponse de celui-ci: "Elle, c'est différent, je l'aime, et je ne veux pas faire comme tout le monde, ne voir qu'elle au début pour la tromper à la fin. Mieux vaut commencer par la fin et finir par le commencement." Voilà un beau roman qui reste à écrire, le mari volage ayant poursuivi et fini comme il avait commencé.

Françoise Hardy commente avec finesse les aléas de sa vie sentimentale. Sans jamais se ménager. Sa connaissance approfondie de l'astrologie, ses lectures de grands textes de spiritualité l'ont amenée à s'interroger avec brio sur ses comportements et sur les exigences, contradictions et paradoxes qui agitent les âmes. Ce qui ne l'a pas empêchée d'être une mère poule. Que reste-t-il de leurs amours? Thomas Dutronc, le fils tant chéri, guitariste devenu auteur, compositeur et chanteur.

Mais voici le plus étonnant de ce livre. Il est très noir et il ne l'est pas. Le drame n'a cessé d'accompagner Françoise Hardy. Son père, devenu homosexuel sur le tard, assommé par un micheton. Sa mère, dévouée jusqu'à se rendre insupportable, délivrée d'une atroce maladie par une euthanasie cachée. Sa soeur, enfant non désirée, victime d'une schizophrénie. Elle-même pas épargnée par un gros pépin de santé. Sur tous ces sujets et sur cent autres, quitte à brouiller son image romantique, elle dit ce qu'elle pense, et avec quelle force! Et avec quelle lucidité! Elle le dit aussi avec cet allant, cet humour, cette allégresse qui n'appartiennent qu'à ceux qui aiment profondément la vie et qui en apprécient les beautés et les plaisirs, même s'ils savent bien que rien ne se termine en chanson.

Bernard Pivot

Publié dans PRESSE

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article