L'Express: Françoise Hardy, tous les garçons, les filles... et elle

Publié le par TOTALLY HARDY

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Afin de saluer - comme il le mérite - le nouvel album de Françoise Hardy, La Pluie sans parapluie, L'Express a proposé à des artistes et à des personnalités d'interviewer la chanteuse. Alain Souchon, Valérie Lemercier, Jean d'Ormesson, Camille, etc., ont joué le jeu.


Un bouddha géant veille sur l'appartement feutré à deux pas du bois de Boulogne. Longue et fine en pantalon noir, Françoise Hardy accompagne la sortie de La Pluie sans parapluie, un disque de chansons d'amour virevoltantes remplies d'espoirs fous et de ballades cafardeuses pour soirs de novembre. Jamais la voix n'a été si belle, les mots si justes et si puissants. Grande auteure, Françoise Hardy chante les mains pleines de cendres des morceaux entêtants... et suspendus : Champ d'honneurEsquives,L'Autre Côté du ciel... La Grande Sophie, Calogero ou Arthur H l'ont rejointe dans l'aventure. Pour cet entretien, L'Express a demandé à des personnalités qui l'apprécient, et vice versa, de lui poser des questions. "Je suis très curieuse", dit-elle, pressée de découvrir qui et quoi. Récit d'une longue rencontre ponctuée de grands éclats de rire car, si Françoise Hardy parle de tristesse et de spleen, elle rit aussi beaucoup.


 

La Grande Sophie : Est-ce pour vous une joie ou une souffrance d'enregistrer un nouvel album ?

Je suis toujours tellement excitée à l'idée de retourner en studio que j'en oublie les angoisses et les épreuves que je vais immanquablement connaître. Et, cette fois encore, ça n'a pas raté.

L'Express : Au moment de Décalages, en 1988, vous aviez annoncé que ce serait votre dernier disque. Ce n'était donc pas le cas...

La promotion à la télévision était alors pour moi une source de tourments. Après Décalages, je n'ai pas sorti de disques pendant huit ans. Cela ne m'a pas vraiment manqué. J'écrivais pour d'autres et je me suis heurtée aux mêmes difficultés que tous les paroliers. Un vrai parcours du combattant ! J'avais proposé une chanson à Johnny, qui a mis un an à lui parvenir, et il l'a refusée. C'est Véronique Sanson qui l'a chantée.

Alain Souchon : Est-ce que tu joues toujours de la guitare pour ton plaisir ou as-tu complètement arrêté ?

Ah ! ben non ! Je n'en ai plus, j'ai dû la jeter. A mes débuts, à la télévision ou sur scène, je m'accompagnais avec la guitare à trois sous qui m'avait servi à composer. Ensuite, je me suis cantonnée à l'écriture car je suis davantage texte que musique, tout en étant absolument convaincue que ce qui compte, dans une chanson, c'est la mélodie.

Valérie Lemercier : Est-ce vrai que vous posez votre voix toute seule sur un magnéto avant d'entrer en studio ?

Oui. Je teste ainsi les paroles, je chante aussi plusieurs fois les titres avant de les enregistrer. J'aimerais travailler davantage en amont avec les compositeurs pour éviter les incorrections rythmiques.

Valérie Lemercier (bis) : Comment faites-vous pour rester si mince ?

L'explication est médicale : j'ai un niveau de cortisol, l'hormone du stress, excessivement élevé. Et donc une faculté à m'angoisser même pour de très petites choses. Alors quand Thomas est sur la route en pleine intempérie, je ne vous dis pas l'inquiétude...

Dominique A : Etes-vous intéressée par les musiques du monde ?

Non, je préfère les chansons mélodiques que rythmiques. Une musique doit m'émouvoir, parfois même jusqu'aux larmes, pour que j'essaie de traduire cette émotion par des mots. J'ai été conditionnée par la pop-rock, la country-rock anglo-saxonne. Les musiques trop typiques comme le folk song m'ennuient.

 

Jean d'Ormesson : De quelle façon écrit-on une chanson ? D'un jet ou lentement comme un roman ?

Cela dépend de l'inspiration. Quand je me mets en devoir d'écrire, c'est un investissement à 200 %. Je compte en général un mois par texte. Pendant cette période, je suis en chasse de mots. J'ai aussi un fichier "Ebauches" dans mon ordinateur et j'y rentre les mots que j'aimerais utiliser. Par exemple, "Je ne vous aime pas" [NDLR : titre d'une nouvelle chanson] est une réplique de Danielle Darrieux dans Madame de... [de Max Ophuls], revue l'an passé. Souvent, je me sers aussi de quelques phrases chantées sur une maquette par le compositeur. C'est un point de départ très précieux. Si le couplet est entier, c'est encore mieux.

Une (non)-question de Patrick Modiano : On se connaît depuis tellement longtemps que je sais d'avance les réponses.

Ah bon ? ! Alors, pas de question ? Patrick me connaît sans doute bien artistiquement. Il m'a écrit quelques textes : "Le soir, le soir, je me sens bien seule/Le soir, le soir, je fais des puzzles." Une certaine mélancolie nous rapproche. Le temps qui passe... Ses livres m'envoûtent. Lorsque j'ai pensé à mon autobiographie, j'ai eu à coeur de terminer chaque chapitre sur une note émouvante à sa façon - il finit toujours ses romans par des phrases poignantes : "Et nos vies ne sont-elles pas aussi rapides à se dissiper dans le soir que ce chagrin d'enfant ?" [NDLR : Rue des Boutiques obscures, roman paru en 1978.]

L'Express : Vos Mémoires ont eu un écho incroyable, surtout auprès du public féminin...

J'étais sidérée de recevoir autant de lettres de femmes, de 40 à 60 ans. Toutes disaient qu'elles se retrouvaient en moi. Etienne Daho espérait que je livrerais beaucoup d'anecdotes sur le métier, mais chaque fois que j'abordais ce domaine, cela m'assommait. J'ai préféré raconter des choses qui permettaient une analyse plus approfondie. C'était indispensable pour moi, sans doute parce que j'ai ce complexe partagé, je crois, par pas mal de mes collègues, de ne rien savoir faire à part écrire des textes de chansons. Et encore, les miens n'arrivent pas à la hauteur de ceux de Brassens ou de Gainsbourg.

Dave : Si c'était à refaire, choisiriez-vous d'être plus heureuse en amour et donc probablement moins inspirée pour écrire de belles chansons tristes ?

 

C'est une question que je me pose moi-même. Ecrire des textes est un exutoire à une vie personnelle, à une affectivité assez compliquée, assez inhibée. J'ai toujours tiré plus de satisfaction des chansons qui parlaient d'un sentiment que je n'arrivais pas à exprimer. J'espérais qu'elles parviendraient aux oreilles de la personne qui les avait inspirées.

François Ozon : Imaginons que vous n'ayez connu ni succès ni reconnaissance. Croyez-vous que votre vie sentimentale en aurait été plus réussie ?

Non. Mon émotivité aurait été conditionnée par les mêmes choses. L'enfance, entre autres. Et comme je n'aurais pas eu l'écriture, mon existence aurait été encore plus douloureuse. Si je n'avais pas chanté, j'aurais été sans doute bibliothécaire pour évoluer au milieu des livres.

Yves Simon : Maintenant que Thomas est grand, envisages-tu de quitter Jacques ?

Il faudrait que j'aie une vraie raison ! L'été dernier, Jacques a été tellement insupportable que j'y ai songé. Et puis il est redevenu un peu normal.

Yves Simon (bis) : Gardes-tu de bons souvenirs de tes duos ?

Sur mon album de duos Parenthèses, les deux plus forts étaient ceux avec Alain Delon, pour Modern Style, et Alain Bashung, pour Que reste-t-il de nos amours ?, choisi par lui. A la fin de l'enregistrement, j'ai confié à Alain Bashung que m'attaquer à un tel chef-d'oeuvre me paraissait un sacrilège. Il m'a lancé cette phrase incroyable : "Il en va des grandes chansons comme des très belles femmes : il ne faut pas trop les respecter."

Olivia Ruiz : Y a-t-il des chansons de votre répertoire que vous ne revendiquez plus aujourd'hui ?

Toutes celles des débuts. J'ai jeté mon coeur ; C'est à l'amour auquel je pense, avec cette ignoble faute de français ; Comme tant d'autres ;Il est tout pour moi... Que des horreurs ! Mais c'est une chance de commencer très petitement, cela permet d'évoluer. Jacques, par exemple, ses premières chansons avaient une force folle. Cela a dû le bloquer.

L'Express : Ecrit-on toujours la même chanson ?

Je suis très monomaniaque et le thème de l'amour peut se décliner à l'infini. J'ai dû écrire une chanson sur Dieu, Regarde-toi, et deux sur la mort, Tant de belles choses et cette toute dernière, L'Autre Côté du ciel. Je me suis fondée sur un cauchemar que je faisais petite. J'étais projetée comme une bille à toute vitesse dans des cercles lumineux. Peut-être meurt-on ainsi, projeté dans l'espace. Je n'ai refait ce rêve qu'une fois, la nuit qui a précédé l'enregistrement de Que tu m'enterres [1980].

Renaud Capuçon : Comment voyez- vous l'avenir de la musique classique ?

La personnalité tellement charismatique d'Hélène Grimaud a amené un public nouveau vers elle. Donc, je reste optimiste. Lorsque j'ai commencé à écouter du classique, c'est devenu une sorte de vice. Je comparais les interprétations d'un concerto de Schumann par Hélène Grimaud, Martha Argerich ou Richter et je devenais folle. Je ressentais un mystère impossible à percer.

Camille : Y a-t-il une relation entre musique et astrologie dans votre vie ?

Pas du tout. Par contre, comme beaucoup de personnes "vénusiennes", j'ai l'âme d'une midinette. J'aime Les Feux de l'amour, les romans de Henry James, de Jane Austen, d'Edith Wharton, qui m'a d'ailleurs inspiré la chanson Le Temps de l'innocence.

Hubert Védrine : Quelles ressemblances et quelles différences remarquez-vous entre vous, à 20 ans, et les jeunes femmes qui ont 20 ans aujourd'hui ?

Nous étions naïves, très enfants. Les jeunes filles actuelles sont plus conscientes de leur séduction, c'est un peu dommage ; et moins ignorantes, c'est une bonne chose. Je suis tombée l'autre jour sur Nouvelle Star : l'assurance de certaines candidates les condamne presque d'avance dans ce genre d'émissions.

 

Une même question de Rose et de François Morel : Pourquoi avez- vous arrêté de vous produire en concert ?

J'ai arrêté à l'âge tendre de 24 ans. Pour moi, chanter n'est pas naturel. Je dois travailler beaucoup. Et puis, je n'ai pas les qualités requises pour la scène : souffle, énergie, aisance, rythme... Sans compter le trac. L'un de mes pires souvenirs de direct reste un Grand Echiquier, consacré à Mireille, où j'ai dû chanter Message personnel, ce qui n'était pas prévu. J'ai été tellement saisie que ma lèvre s'est mise à trembler nerveusement. Aujourd'hui, je suis malheureusement plus près des 70 ans que des 60 ans. C'est affreux, mais ça me fait rire. C'est l'âge où les autres font leurs adieux. Je ne vais quand même pas remonter sur scène ! Oh mon Dieu, non !

Calogero Quel regard portez-vous sur le métier de la musique ?

En l'espace de trente ou quarante ans, il s'est écrit tant de chansons géniales qu'il est vraiment difficile d'en composer une qui ne ressemble pas à ce qui existe déjà. Et puis la production actuelle est très pléthorique, on ne peut pas tout écouter. On découvre par hasard des choses géniales. Ainsi Alain Lubrano a déniché La Pluie sans parapluie sur le Myspace de Fouxi, une chanteuse allemande. L'autre jour, je regardais Sept vies, le film de de Gabrielle Muccino à la télévision et j'entends pendant le générique de fin une formidable chanson céleste. Je me suis jetée sur ma télécommande. C'était Have no fear, de Bird York, que j'ai acheté immédiatement sur iTunes.

Renaud Capuçon : Pouvez-vous nous raconter un moment fort que vous avez vécu en concert sur scène ou dans la salle ?

L'entrée en scène de Thomas m'a tellement émue, vous n'en avez pas idée. La petite table à gauche, le Teppaz qui passe un vieux morceau de Django Reinhardt, les musiciens qui se mettent en place et commencent à jouer... A un moment, on ne sait plus si on entend Django ou  le groupe, c'est extraordinaire. J'ai ressenti la même émotion à chaque fois car j'ai vu les concerts de Thomas plusieurs fois.

Charles Aznavour : Je ne pose jamais aucune question à personne. Mais j'ai chaque année, une chanson préférée. EtFais-moi une place en fait partie.

Ah ça alors ! Ah bon ! Bertrand De Labbey souhaitait que j'écrive pour Julien Clerc. Julien me joue ses mélodies sur son piano et je pense « oh la la, le disque ne va être terrible » - il n'en a finalement gardées aucune. Mais avant de partir, il m'a fait écouter une dernière, plus simple, qui m'a beaucoup plue. Le texte est venu tout seul. Après j'ai regretté et je regrette aujourd'hui encore d'avoir utilisé des mots du quotidien pour Fais-moi une place, de l'avoir écrit pour moi, alors qu'un langage lyrique lui aurait mieux convenu.

Juliette : Est-ce que l'on progresse encore et toujours en astrologie ?

 

Oh oui, ad vitam aeternam. J'ai l'impression de savoir très peu de choses, c'est tellement complexe. L'astrologie fait partie de ma vie. Lorsque j'entends une information sur les uns ou les autres, je regarde s'il y a des correspondances, des échéances... L'astrologie fera des progrès quans les scientifiques s'y intéresseront.

Hubert Védrine : Qu'est-ce qui vous rend optimiste ou pessimiste dans le monde actuel ?

L'existence de personnalités comme Hubert Védrine ou Barack Obama, qui ne sont pas sectaires. Ce sont des hommes réalistes qui ont un idéal sans être idéologues pour autant. A part ça, pas grand chose! Si. Quand je vois de petits enfants, j'ai l'impression qu'il y en a de de tout à fait particuliers avec des dons intellectuels, une personnalité forte et cela me rend confiante en l'avenir.


Gilles Médioni, le 1er avril 2010

 

 

 

 

 

 

Publié dans INTERVIEWS

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